Interview de JULIA CROON
Par Valérie Chorenslup, Olivia Bruynoghe et Rachel Goldenberg
Toujours dans le cadre de notre projet de rencontre avec des scriptes du monde entier, nous vous proposons de découvrir Julia Croon, scripte américaine vivant à New York.
Nous avons rencontré Julia Croon à la cinémathèque, lors de son voyage à Paris en mai dernier !
Cet interview a été réalisée par Valérie Chorenslup, Olivia Bruynoghe et Rachel Goldenberg. La transcription et traduction ont été faites par Rachel Goldenberg.
Quel a été ton premier contact avec le métier de scripte ?
J’étais l’assistante d’un réalisateur de publicité. Sur le tournage, j’observais la scripte en me demandant en quoi consistait son travail. Cela avait l’air sympa. Elle était à la fois proche du réalisateur et des acteurs. Je me demandais ce qu’elle notait sur son cahier et à quoi servaient toutes ses notes. Je lui ai parlé et je lui ai posé un tas de question. A cette époque je travaillais aussi en tant que coordinatrice de production. Ce qui veut dire que j’engageais des scriptes. Du coup, je parlais avec toutes les scriptes que je contactais et une d’entre elles m’a proposé de m’apprendre tout le travail écrit (paper work). Ensuite j’ai rencontré une autre scripte qui m’a proposé tout simplement de l’accompagner sur le tournage du long métrage sur lequel elle travaillait. J’ai dit oui et je l’ai fait ! Puis j’ai appelé le syndicat « local 161 » et j’ai posé la question : « Je veux devenir scripte, connaissez-vous quelqu’un qui voudrait bien passer du temps avec moi et m’apprendre ? ». Je ne savais pas que j’étais en train de parler avec la présidente du syndicat ! Elle m’a répondu que Martha Pinson, la scripte de Martin Scorsese, adorait aider les jeunes scriptes. Et bien sûr, je l’ai appelée et elle est devenue mon mentor officiel ! J’ai beaucoup appris avec elle.
As-tu travaillé en tant qu’assistante ?
Non. J’observais et prenais des notes. Je n’étais pas une assistante officielle. Nous n’avons pas de poste d’assistant scripte aux Etats unis. C’est très rare.
Donc comment as-tu appris ?
J’ai observé. J’ai lu le livre de Pat Miller et je suis devenue membre du réseau des scriptes new yorkais NYSSN (www.nyssn.org). A ce moment là, Sharon Watt et Diane Hounsell s’en occupaient. Deux ans après, elles m’ont demandé si je voulais faire partie du bureau et les aider dans l’organisation.
Cela veut dire que le poste d’assistant n’est pas officiel ? La scripte travaille toute seule ?
Oui ! Je connais une scripte qui a demandé un assistant. Mais l’assistant était là seulement pour porter ses affaires à droite à gauche ! C’est très rare d’être deux ! Sur des gros projets, avec beaucoup d’effets spéciaux, des séries comme Marvel et autres adaptations de bande dessinées, les scriptes commencent à demander un autre scripte, mais pas d’assistant. En ce qui concerne le rapport image, le département image le fait. Moi je cercle les prises et note pour moi les différentes informations telles que les focales. L’équipe image note aussi l’objectif, la distance, la hauteur, le T stop.
Julia est très surprise qu’en France, en règle générale, l’équipe image ne s’occupe pas du rapport image et qu’il faille se battre pour qu’elle le fasse. Selon elle et ses collègues, c’est au second assistant image de le faire, parce qu’il est proche de la caméra, plus que nous les scriptes. C’est logique dit–elle !
Elle continue en disant :
C’est très important de noter aussi toutes ces informations. Très récemment nous faisions des effets visuels. Nous tournions une séquence avec un grand feu et le jour suivant, la deuxième équipe a tourné les pelures. La scripte m’a appelée pour savoir qu’elle était la focale du gros plan sur le feu et j’ai pu lui donner l’information rapidement sans avoir besoin de rechercher dans les back up.
Vas-tu quelque fois au montage ?
Je ne vais pas au montage. J’ai des amis monteurs et j’ai travaillé en post production en tant que coordinatrice d’effets visuels donc je connais tous le processus !
Y- a-t-il plus de scriptes femmes, plus d’hommes ?
Je dirais qu’il y a 80% de femmes et quelques hommes !
Combien de scriptes y - a-t-il aux USA ?
Je dirais quelques centaines à New York et des milliers à Los Angeles !
Depuis combien de temps travailles-tu ?
6 ans et demi.
Quel a été ton premier film ?
Mon premier film en tant que scripte à part entière a été « Beach pillows » réalisé par Sean Hartofiles avec Vincent Kartheiser (Madmen) et Geoffrey Arend. C’était une histoire de jeunes qui s’amusent pendant l’été. J’ai fait beaucoup de pubs et ce film était mon premier long métrage. Ma première fois en télévision a été le tournage « Shades of blue » (Un flic sur deux) avec Jennifer Lopez et Ray Liotta (Les affranchis) et la série sur laquelle je travaille en ce moment s’appelle « Elementary » avec Lucy Liu and Jonny Lee Miller et c’est probablement celle que je préfère. J’ai aussi travaillé sur « Girls ». Je travaille aussi bien sur des longs métrages, des séries, des téléfilms et des pubs. En ce moment, je fais plus de télé.
Travailles-tu souvent avec le même réalisateur ?
Dernièrement pas vraiment ! Parce que je travaille plus sur des séries sur lesquelles les réalisateurs sont les invités. Ce qui veut dire qu’il y a un réalisateur différent à chaque épisode. Ce qui explique qu’au cours des deux dernières années et demi, j’ai rarement travaillé avec le même réalisateur. Mais avant cette période, j’ai beaucoup travaillé avec Henry Alex Rubin. C’était le réalisateur du long métrage sur lequel j’ai pu apprendre. Je n’étais pas assistante ! J’étais en phase d’apprentissage à ses côtés et plus tard je suis devenue sa scripte sur des publicités. C’était super !
Y- a-t-il toujours des scriptes sur les pubs ?
Les productions de publicités qui appartiennent à un syndicat doivent avoir des scriptes sur les tournages. C’est la loi. Scripte sur une pub est un métier très différent. Sur des pubs, le scripte est là pour enregistrer les informations. En d’autres termes, nous ne travaillons pas avec une histoire linéaire. Nous notons les time codes, les numéros de clip etc. Nous sommes comme des « logger ». Je ne sais pas comment cela se dit en français. « To log » en anglais veut dire enregistrer des informations. C’est très ennuyeux !
Qu’est ce que tu aimes le plus dans ton travail ?
J’aime travailler avec les acteurs et les réalisateurs. J’ai le sentiment que nous avons la meilleure place : nous sommes à la fois très proches du réalisateur et des acteurs. C’est ce que j’aime le plus !
Et qu’est ce que tu n’aimes pas ?
Pré minuter !!!! Rire général !
C’est tellement arbitraire. Vous ne pouvez jamais savoir comment un acteur va jouer la scène. Va-t-il prendre son temps ? Va-t-il être rapide ? Vous n’avez aucun moyen de savoir à l’avance comment les acteurs vont se donner. Pré minuter est tellement difficile. J’ai entendu parler de scriptes qui ont été virés car leur minutage était faux. Comment cela peut être possible ? Il arrive qu’un producteur embauche un scripte seulement pour minuter ! Pourquoi ?
Je reviens sur la question précédente sur ce que j’aime le plus dans mon métier et pourquoi j’aime travailler avec les réalisateurs et les acteurs. Leur travail est tellement différent. C’est une collaboration tellement intime que nous avons la chance de regarder. Les acteurs sont si vulnérables. Ils doivent créer un personnage à partir de rien. Les réalisateurs doivent leur donner assez de substances, d’informations à partir desquelles les acteurs créent leurs personnages. C’est la rencontre de ces deux forces qui me fascine !
Comment peux-tu décrire ta position au sein de l’équipe mise en scène ? Formez-vous une équipe ?
En télé ou en général ?
Je pense que cela dépend du projet. Les relations sont différentes en télévision parce que l’assistant réalisateur, le scripte et les acteurs sont permanents. Ils sont là du début à la fin et travaillent ensemble tous les jours. Les réalisateurs sont les invités et je pense qu’à cause de cela l’assistant réalisateur et le scripte deviennent très proches.
Cela veut dire que les réalisateurs ne viennent pas avec leur scripte ?
C’est exact.
C’est difficile pour les acteurs et les réalisateurs. Surtout pour les acteurs. Ils doivent constamment s’adapter. Il y a des réalisateurs qui jouent le jeu. Ils savent qu’ils sont « invités » et que donc leur travail est d’aller dans le sens du courant. D’autres réalisateurs arrivent et veulent réinventer les intentions et faire quelque chose de nouveau. En télévision tout est formaté et vous devez vous adapter. Je pense que sur un long métrage c’est différent. C’est important pour l’assistant et le scripte de communiquer mais de façon différente. Parce que sur un long métrage, les choses changent beaucoup plus qu’en télé. Sur un long métrage, le réalisateur peut avoir une idée et avoir envie de filmer tel ou tel plan. Si la scripte ne fait pas attention, ou fait quelque chose d’autre ou rate l’information, cela n’aide pas beaucoup l’assistant. C’est une relation importante.
Depuis que tu travailles, as-tu noté des changements dans la façon dont fonctionne un plateau, techniquement ?
Je n’ai pas une longue carrière ! Mais je peux répondre que oui j’ai vu des changements et pas seulement dans le fait de crossboarder 2 épisodes. Pour donner un exemple, en ce moment se tournent 10 épisodes de 52 mn en une seule fois, la saison entière avec une seule et même scripte. C’est quelque chose de nouveau. C’est la première fois que cela se fait. Il y a 3 mois de tournage. Le temps de tournage comprend 16 jours de tournage suivis d’une pause de transition de deux semaines et ainsi de suite.
Il y a autre chose que l’on fait quelques fois sur certaines séries : Il y a une seule et même scripte pour toute la saison qui prendra un jour de congé un vendredi sur deux pour faire la prépa de la prochaine saison. Elle est remplacée ce jour là. C’est assez épuisant et c’est beaucoup. Mais ainsi vous ne perdez pas de travail. Alterner est bien : vous vous reposez mais en même temps vous travaillez moins.
Comment se passent la préparation et le tournage ? Comment t’organises-tu ?
La première chose que je fais est de lire le scénario deux ou trois fois. Nous avons ce que l’on appelle le comptage de page (Page count) : nous devons mesurer chaque page. Je lis donc le scénario et s’il y a des incohérences qui me sautent à la figure, j’écris au directeur de collection (show-runner) ou au scénariste si je le connais et seulement si c’est très important. Je commence toujours mes mails en écrivant : « Bien que je sache que c’est la première version…. » ! Je lis toujours avec un stylo rouge à la main. J’encercle les incohérences. Puis je pose le scénario sur une table et je prends ma règle, je mesure chaque séquence et je les minute. Au cours de cette étape, je me sers d’un tableau Excel dans lequel je rentre le lien entre chaque séquence, le minutage et le numéro de page. Je fais en général ce travail sur la version N°1, version du scénariste (writer draft). Puis je reçois la version n°2, la version validée par la chaine, (studio network draft). Je la lis et j’attends la version définitive, la version n°3, celle de la production (production draft), pour faire ma continuité. Parce qu’à ce moment là, la production est censée avoir réglé tous les petits problèmes. C’est en gros la façon dont je procède. Puis ma continuité est distribuée à tous les chefs de départements après avoir été validée : avant de la distribuer je la compare avec celle de l’assistant pour être sûre que nous sommes d’accord sur la chronologie.
Pendant ma prépa, j’écris toujours un mail au monteur et à son assistant pour me présenter. Avant le tournage, nous avons aussi des réunions de productions avec tous les chefs de poste.
Tu as dit que tu utilises Excel. Utilises–tu d’autre programmes comme ScriptE ?
Je n’utilise pas scriptE. Je préfère utiliser le programme Excel et l’adapter à mes besoins. Et j’utilise un programme photo, PM Pro (Photo Manager) sur mon iPad.
Et donc tu notes tout à la main ?
Je suis une scripte « papiers et stylos » !
Sur le tournage, j’arrive avec mon classeur, 45 mn avant l’heure de convocation. Nous ne sommes pas payés lorsque nous arrivons plus tôt sauf à certaines occasions. Mon habitude est de venir 30 à 45 mn plus tôt. Je suis seule et tranquille. Je passe en revue la journée de travail. L’heure de convocation est en général à 7h pour l’équipe et à 8h, pour les acteurs. A 7h05, nous faisons une lecture de la séquence et le réalisateur proposera la mise en place et déterminera son découpage. Ensuite les acteurs se mettront en position, liront la séquence encore une fois et la 3ème étape sera la répétition pour fixer les marques. Tous les départements doivent être présents. Nous marquons les positions. Puis les acteurs sont envoyés aux costumes. Pendant ce temps, je prépare mes rapports pour la journée. Je revois le découpage avec l’assistant. Quelque fois, je vais voir directement le réalisateur. Je n’y vais pas systématiquement, seulement si il est le seul à pouvoir répondre à ma question. Je le laisse se concentrer. C’est la même organisation en télévision et long métrage. Il y a une chose que je n’ai jamais vu sur un long métrage, c’est la répétition sans les acteurs. Ce n’est pas très courant. En télévision, tout est tellement organisé, formaté et les acteurs sont habitués à cette façon de faire. Donc, vous lisez, répétez, faites la mise en place, marquez. Je pense que c’est plus flexible sur un long métrage.
Notre journée de travail ne va pas au delà de 14 heures. De 7 h du matin à 22h le soir. Nous avons une heure de coupure repas et nous avons les heures supplémentaires. Certaines semaines, lorsque je regarde en bas de mon chèque le nombre d’heures travaillées, je lis 60h, 70h et je me demande comment c’est possible !
Et pour les photos ?
J’utilise mon iPad. Il arrive que certaines fois, lorsque le réalisateur avec lequel je travaille, n’aime pas avoir quelqu’un qui prend des photos, j’utilise mon iPhone et je prends rapidement les photos. C’est plus discret. Je m’organise plus tard. En général, je me souviens de la séquence et je m’y retrouve. Je n’imprime jamais les photos ! Ça c’était « avant » moi !
Ça vaut vraiment le coup d’avoir un iPad surtout sur un long métrage. Ca m’a sauvé la vie !
Fais-tu toujours un rapport montage ?
Oui.
Comment sont nommés les plans sur le clap ? Selon l’ordre de tournage ou selon l’ordre de montage ?
Nous avons la feuille de service avec par exemple les séquences 25, 11 et 10. On indique sur le clap :
– le numéro de la séquence 25
– On utilise les lettres a, b, c, d … pour nommer les plans. Par exemple 25 a pour le master, 25 b, pour le très gros plan…
– Le numéro des prises.
Et nous suivons l’ordre du tournage.
Y -a-t-il des écoles qui forment les scriptes ?
Je suis allée dans une école de cinéma mais je n’y ai pas appris le métier de scripte. Randi Feldman, une scripte, donne des cours privés (http://www.scriptsupervising.com/instructor/index.html) ainsi que Nancy Kaimowitz. Tony Pettine qui a développé Script E, donne aussi des cours. C’est un professeur. Il y a beaucoup de cours privés mais rien à l’université. Enfin peut être que ça a changé depuis !
Avez-vous des lois concernant le travail ? Recevez-vous des indemnités chômage ?
Oui nos avons droit à des indemnités de chômage. Ce n’est pas énorme mais pas négligeable. Nos salaires sont fixés par le syndicat et dépendent du type de contrat que nous avons signés. Il y a plusieurs niveaux de contrat : niveau 1, niveau 2, niveau 3.
Notre salaire est à l’heure. Après 8 heures de travail, nous passons en heures sup. Nous avons aussi la mise à disposition du matériel. Cela s’ajoute à notre taux horaire. Si il y a 2 caméras, le taux horaire augmente. Pour la troisième caméra, nous devons beaucoup négocier. Personne ne veut payer pour une troisième caméra. Donc si nous travaillons avec 3 caméras, notre taux horaire augmente encore plus.
Ce que nous faisons aussi est de mettre par écrit la liste de notre matériel. Cette liste est signée par moi et la production. De cette façon, mon matériel est couvert par l’assurance de la production. Si mon iPad se casse, je peux montrer ce document et le producteur doit me dédommager. Ça c’est bien !
Si nous ne travaillons pas, nous sommes indemnisés par le chômage chaque semaine et ce montant ne change pas. Nous devons aussi, comme vous, travailler un certain nombre d’heures chaque année pour pouvoir en bénéficier et comme vous, cela dure 12 mois. J’ai eu beaucoup de chance : je n’en ai pas eu besoin. Je sais que les indemnités chômage sont moins élevées à Los Angeles.
Je travaille seulement à New York (toute la côte Est). J’ai le droit de travailler à Los Angeles. Mais je préfère New York !
Est-ce que tu va voir beaucoup de films français ?
Oui ! Mais en règle général, les américains n’en voient pas beaucoup !
Est ce que tu peux vivre de ton métier ?
Oui ! J’ai de la chance ! Car vraiment, il y en a beaucoup qui ne travaillent pas assez et ne s’en sortent pas comme par exemple ceux qui débutent.
Je pense que ce qui est important à propos de notre métier, autre que l’aspect technique bien sûr, c’est surtout de savoir travailler avec d’autres personnes et vraiment réussir à travailler en équipe et c’est peut être quelque chose que certains « jeunes » scriptes ne comprennent pas.
Et que penses-tu des programmes ?
Nous en parlons beaucoup au sein de notre réseau de scriptes (Il s’agit plus d’un réseau que d’une association). Je pense que notre métier quand on l’a bien compris est irremplaçable. Il existe aucun programme ou application qui peut prendre notre place. Il y a des producteurs qui ne comprennent pas ce que nous faisons. Ils pensent que notre métier se résume à prendre des notes et qu’un assistant peut le faire. Mais ceux-là ne sont pas de bons producteurs et ne cherchent pas non plus à travailler sur des projets intéressants. Les producteurs professionnels et compétents connaissent la valeur d’un scripte. Un bon réalisateur connaît la valeur des scriptes. Par conséquent je pense qu’il y aura toujours des scriptes. En revanche, je pense aussi que les producteurs de séries bas de gammes, low cost, auront tendance à se passer de nous !